Fille d'ouvriers
Michèle Bernard
(S.A) Pâle ou vermeille, brune ou blonde, Bébé mignon, Dans les larmes ça vient au monde, Chair à guignon. Ébouriffé, suçant son pouce, Jamais lavé, Comme un vrai champignon, ça pousse Chair à pavé À quinze ans, ça rentre à l'usine, Sans éventail, Du matin au soir, ça turbine, Chair à travail. Fleur des fortifs, ça s'étiole, Quand c'est girond, Dans un guet-apens, ça se viole, Chair à patrons. Jusque dans la moelle pourrie, Rien sous la dent, Alors, ça rentre en brasserie, Chair à clients. Ça tombe encore : de chute en chute, Honteuse, un soir, Pour deux francs, ça fait la culbute, Chair à trottoir. Ça vieillit, et plus bas ça glisse. Un beau matin, Ça va s'inscrire à la police, Chair à roussins ; Ou bien, sans carte, ça travaille Dans sa maison ; Alors, ça se fout sur la paille, Chair à prison. D'un mal lent, souffrant le supplice, Vieux et tremblant, Ça va geindre dans un hospice, Chair à savants. Enfin, ayant vidé la coupe, Bu tout le fiel, Quand c'est crevé, ça se découpe. Chair à scalpel. Patrons ! Tas d'Héliogabale, D'effroi saisis Quand vous tomberez sous nos balles, Chair à fusils, Pour que chaque chien sur vos trognes Pisse à l'écart Nous les laisserons, vos charognes, Chair à Macquart !