Les crapauds
Marc Legrand
La nuit est limpide, l'étang est sans rides, Dans le ciel splendide luit le croissant d'or. Orme, chêne ou tremble, nul arbre ne tremble, Au loin le bois semble un géant qui dort. Chien ni loup ne quitte sa niche ou son gîte Aucun bruit n'agite la terre au repos. Alors dans la vase, ouvrant en extase Leurs yeux de topaze, chantent les crapauds. Ils disent : Nous sommes haïs par les hommes, Nous troublons leur somme de nos tristes chants. Pour nous point de fêtes, Dieu seul sur nos têtes Sait qu'il nous fit bêtes et non point méchants. Notre peau terreuse se gonfle et se creuse ; D'une bave affreuse nos flancs sont lavés. Et l'enfant qui passe loin de nous s'efface Et pâle nous chasse à coup de pavés. Des saisons entières dans les fondrières Un trou sous les pierres est notre réduit. Le serpent en boule près de nous s'y roule Quand il pleut en foule nous sortons la nuit Et dans les salades faisant des gambades Pesants camarades nous allons manger. Manger sans grimaces cloporte ou limace Ou ver qu'on ramasse dans le potager. Nous aimons la mare qu'un reflet chamarre Où dort à l'amarre un canot pourri. Dans l'eau qu'elle souille sa chaîne se rouille ; La verte grenouille y cherche un abri. Là, la source épanche son écume blanche ; Un vieux saule se penche au milieu des joncs. Et les libellules, aux ailes de tulle Font crever des bulles au nez des goujons. Quand la lune plaque, comme un verni laque, Sur la calme flaque des marais blafards, Alors symbolique et mélancolique Notre lent cantique sort des nénuphars. Orme, chêne ou tremble, nul arbre ne tremble, Au loin le bois semble un géant qui dort. La nuit est limpide l'étang est sans rides Dans le ciel splendide luit le croissant d'or.