Pas de mot
Lynda Lemay
Quand on perd ses parents, on s'appelle orphelin. Quand on perd son épouse, alors on s'appelle veuf. Quand on perd sa jeunesse, bien entendu, c'est vieux que l'on devient. Mais quand on perd son gamin, y a pas de mot. Il n'y a pas de nom pour décrire le père, Celui qui borde son garçon au cimetière. Jamais un seul poète, un seul pasteur, jamais un seul auteur, N'a eu assez de lettres pour tant d'douleur Quand on perd la raison, bien sûr on s'appelle fou. Et puis on s'appelle pauvre à perdre trop de sous. Quand on perd la mémoire, tout d'suite on est qualifié d'amnésique. Mais y a des choses qu'aucun mot n'explique. On aura beau fouiller les plus vieux dictionnaires. Posséder le plus vaste des vocabulaires. Décortiquer Baudelaire, jusque sous terre, jusqu'à son dernier vers. Il n'y a pas de mot, pas de manière. D'appeler le parent d'un enfant qui n'est plus. Il n'y a pas de mot pour ça qui soit connu. Quand on perd ses parents, on s'appelle orphelin. Quand on perd son mari, alors on s'appelle veuve. Quand on perd son petit, c'est évident, il n'y a pas de mot. Pourtant y en a des mots qui nous émeuvent. Mais là, y en a aucun, y a vraiment rien à dire. On ne sait même plus trop si on a l'droit de vivre. Mais bon on vit quand même, on vit tout simplement pour n'pas crever. On rit pour n'pas pleurer des flots sans rive. Oui, on vit parc'que lui, il n'pourra plus le faire. On vit parce qu'on s'dit que sans doute il en s'rait fier. Quand on sauve un enfant, on s'appelle héros. Mais quand on en perd un, y a pas de mot.