La gosse
Jean-Michel Piton
Elle va pleurer, la gosse, Se faire deux ou trois bosses S'écorcher les genoux Casser des porcelaines Et ses poupées de laine Déchirer son doudou Se couper une mèche Prendre son air revêche Et se mettre à bouder Avoir le premier rôle Du petit train en tôle Qui vient de dérailler Elle a grandi, la gosse, Elle aime bien ses bosses Et montre ses genoux Ses yeux de porcelaine Aussi doux que la laine Mais elle aime avant tout Décolorer ses mèches Et jouer les pimbêches Aux portes des lycées Être une fille forte Mais l'amour qui l'emporte Lui impose un baiser Elle est heureuse, la gosse, Car le fruit de sa bosse Glisse entre ses genoux Au teint de porcelaine Qu'un chaud cordon de laine Raccroche, malgré tout Elle regarde les mèches Sur cette peau de pêche Comme des algues collées Au dos d'un coquillage Ramassé sur la plage À la tendre marée Puis elle est seule, la gosse, Elles ont grossi, ses bosses Elle cache ses genoux Boit dans la porcelaine Et met des bas de laine Car elle a froid partout Elle se teint quelques mèches De cheveux qui l'empêchent De mentir sur le temps Donner par la couleur L'illusion à son coeur Qu'il a repris vingt ans Et la voilà, la gosse, Qui n'est que plaies et bosses Qui plie sur ses genoux Fragile porcelaine Qui pelote sa laine Auprès d'un vieux matou Qui caresse une mèche Du bout de ses doigts rêches D'un petit bout de chou Et la rend toute fière D'en être la grand-mère Elle embrasse le cou De cette porcelaine Tendre comme la laine Qui dort dans son doudou