Six pieds en l'air
Jacques Higelin
Doux, tout doucement Je me balance Tout abandonné Aux caprices des vents. Les yeux grands ouverts Je sombre dans l'enfance Quand elle me berçait Dans ses bras, ma maman. Doux, tout doucement Vient l'exquise jouissance Qui m'arrache l'échine De son spasme brûlant. Pâle, abandonné A ma seule innocence, Dernier râle d'amour, Je prends du bon temps. Doux, tout doucement Voici l'aube qui point. Doux, tout doucement Le soleil fait un signe. Il viendra tantôt Me réchauffer les flancs Noircir ce grand corps Tout gonflé de vermines. Doux, tout doucement La corde me ronge. Mon esprit tantôt S'en va quitter mon corps. Puis ma tête ira se rafraîchir à l'ombre au pied du gibet où je pends Tristement Cru cruellement les corbeaux incrédules vont me becqueter les yeux bouffer mes ornements se remplir la panse de ma sombre infortune gaver leurs petits des restes du mourant Doux, tout doucement Je me balance Tout abandonné Aux caprices des vents. Les yeux grands ouverts Je sombre dans l'enfance Quand elle me berçait Dans ses bras, ma maman.