Voir un ami pleurer
Jacques Brel
Bien sûr, il y a les guerres d'Irlande et les peuplades sans musique. Bien sûr, tout ce manque de tendre. Il n'y a plus d'Amérique. Bien sûr, l'argent n'a pas d'odeur mais pas d'odeur me monte au nez. Bien sûr, on marche sur les fleurs mais, mais voir un ami pleurer. Bien sûr, il y a nos défaites et puis la mort qui est tout au bout. Le corps incline déjà la tête, étonné d'être encore debout. Bien sûr, les femmes infidèles et les oiseaux assassinés. Bien sûr, nos coeurs perdent de leurs ailes mais, mais voir un ami pleurer. Bien sûr, ces villes épuisées par ces enfants de cinquante ans. Notre impuissance à les aider et nos amours qui ont mal aux dents. Bien sûr, le temps qui va trop vite. Ces métros remplis de noyés. La vérité qui nous évite. Mais, mais voir un ami pleurer. Bien sûr, nos miroirs sont intègres. Ni le courage d'être juif ni l'élégance d'être nègre. On se croit mèche, on est que suif. Et tous ces hommes qui sont nos frères tellement qu'on n'est plus étonné que par amour ils nous lassèrent. Mais, mais voir un ami pleurer.