Le cheval
Jacques Brel
J'étais vraiment, j'étais bien plus heureux Bien plus heureux avant, quand j'étais cheval Que je traînais madame, votre landau Joli madame, dans les rues de Bordeaux Mais tu as voulu que je sois ton amant Tu as même voulu que je quitte ma jument Je n'étais qu'un cheval, oui, mais tu en as profité Par amour pour toi, je me suis déjumenté Et depuis, toutes les nuits, dans ton lit de satin blanc Je regrette mon écurie, mon écurie et ma jument J'étais vraiment, vraiment bien plus heureux Bien plus heureux avant quand j'étais cheval Que tu te foutais Madame, la gueule par terre Jolie madame, quand tu forçais le cerf Mais tu as voulu que j'apprenne les bonnes manières T'as voulu que je marche sur les pattes de derrière Je n'étais qu'un cheval, oui ouais, mais tu m'as couillonné hein Par amour pour toi, je me suis derrièrisé Et depuis, toutes les nuits, quand nous dansons le tango Je regrette mon écurie, mon écurie et mon galop J'étais vraiment, vraiment bien plus heureux Bien plus heureux avant quand j'étais cheval Que je te promenais, Madame sur mon dos Jolie madame en forêt de Fontainebleau Mais tu as voulu que je sois ton banquier Tu as même voulu que je me mette à chanter Je n'étais qu'un cheval, oui, oui, mais tu en as abusé Par amour pour toi, je me suis variété Et depuis, toutes les nuits, quand je chante : "Ne me quitte pas" Je regrette mon écurie et mes silences d'autrefois Et puis et puis tu es partie radicale / Avec un zèbre un zèbre mal rayé Le jour madame où je t'ai refusé / D'apprendre à monter à cheval Mais tu m'avais pris ma jument, / Mon silence mes sabots Mon écurie mon galop / Tu ne m'as laissé que mes dents Et voilà pourquoi je cours, je cours, je cours le monde en hennissant Me voyant refuser l'amour par les femmes et par les juments J'étais vraiment, vraiment bien plus heureux Bien plus heureux avant, quand j'étais cheval Que je promenais madame votre landau Quand j'étais cheval et quand tu étais chameau