La chanson de Jacky
Jacques Brel
Même si un jour à Knokke-le Zoute Je deviens comme je le redoute Chanteur pour femmes finissantes Même si je leur chante "mi corazon" Avec la voix bandoneante D'un argentin de Carcassonne Même si on m'appelle Antonio Que je brûle mes derniers feux En échange de quelques cadeaux Madame' je fais ce que je peux Même si je me saoule à l'hydromel Pour mieux parler de virilité À des mémères décorées Comme des arbres de Noël Chaque nuit dans ma soûlographie Pour un public d'éléphants roses Je chanterai la chanson morose Celle du temps ou je m'appelait Jacky Être une heure, une heure seulement Être une heure, une heure quelquefois Être une heure, rien qu'une heure durant Beau, beau, beau et con a la fois. Même si un jour à Macao Je deviens gouverneur de tripot Cerclé de femmes languissantes Même si lassé d'être chanteur J'y sois devenu maître-chanteur Et que ce soit les autres qui chantent Même si on m'appelle Beau Serge Que je vende des bateaux d'opium Du whisky de Clermont-Ferrand De vrai pédés, de fausses vierges Que j'ai une banque à chaque doigt Et un doigt dans chaque pays Et que chaque pays soit à moi Je sais quand même que chaque nuit Tout seul au fond de ma fumerie Pour un public de vieux chinois Je chanterais ma chanson à moi Celle du temps ou je m'appelait Jacky (Refrain) Même si un jour à Paradis Je devienne comme j'en serais surpris Chanteur pour femmes a ailes blanches Même si je leur chante alléluia En regrettant le temps d'en bas Ou c'est pas tous les jours Dimanche Même si on m'appelle Dieu le père Celui qui est dans l'annuaire Entre Dieu le fit et Dieu le garde Même si je me laisse pousser la barbe Même si toujours trop bonne pomme Je me crève le coeur et le pur esprit À vouloir consoler les hommes Je sais quand même que chaque nuit J'entendrai dans mon paradis Les anges, les saints et Lucifer Me chanter ma chanson de naguère Celle du temps ou je m'appelait Jacky