La clef
Georges Chelon
M'en suis allé à la guerre et m'y suis battu Ai vu passer moult hivers et m'en suis revenu Dans la chambrette de ma belle, je suis rentré sans bruit Just'avant qu'elle se réveille, glissé dans son lit. Venez, je ne suis qu'impatience mon bel ami Je garde encore la souvenance de notre brève nuit, Quelques baisers, une étreinte et au petit matin Pour délivrer la terre sainte vous vous mites en chemin. Parlez-moi plus fort la belle, le bruit des combats M'a un peu durci l'oreille, que disiez-vous là. Je disais que les infidèles ne m'intéressaient pas, Que vous allumiez la chandelle pour que je vous voie Point n'est besoin de lumière ma dulcinée Pour ouïr maintes misères qui me sont arrivées D'abord l'impie cimeterre, m'a coupé un bras, Il ne tint qu'à mes prières, que je n'en meure pas Ce n'est rien la mon compère, mon preux chevalier, L'autre main fera l'affaire, pour me caresser. Las, elle gît dans le désert, je n'ai plus qu'un moignon Un sarrasin en colère en a eu raison Allez cessez de vous plaindre, mettez-vous debout, Qu'une fois pour toutes on voit ce qu'il reste de vous. Petit cachottier, vos jambes s'arrêtent aux genoux, Je commence à m'inquiéter, comment ce n'est pas tout ? Hélas ils m'ont attrapé à Jérusalem Par Saint Georges ils m'ont torturé, regardez vous-même Ils ont épargné mes bourses, grâce au ciel, Mais je ne suis plus dans la course pour la bagatelle. À la guerre comme à la guerre brave compagnon Pour me satisfaire, il me reste votre moignon Vite enlevez-moi cette ceinture de chasteté Ne me dites pas que vous avez perdu la clef ! Hélas oui madame, je l'avais dans la main Quand celle-ci dieu le damne, fut tranchée par le sarrasin Sur la terre des infidèles, qui sait où elle a chu Par l'archange saint Michel elle a disparu. La s'en est trop, pour le coup je me sens défaillir Comment osez-vous dans cet état me revenir Votre ville sainte vous pouvez vous asseoir dessus Qui viendra me délivrer, du joug de la vertu Si le bon roi Louis me mande, je repartirai La clef sera comme une offrande que je vous ferais Dussé-je remuer le sable avec mon moignon Ou vendre mon âme au diable, foi de bourguignon. À la prochaine croisade je la retrouverais À moins que je ne sois malade, mort et enterré. Mais en attendant mignonne, si vous le permettez Je m'en vas faire un petit somme je me sens fatigué.