La route aux quatre chansons
Georges Brassens
J'ai pris la route de Dijon, Pour voir un peu la Marjolaine, La belle, digue digue don, Qui pleurait près de la fontaine. Mais elle avait changé de ton, Il lui fallait des ducatons Dedans son bas de laine, Pour n'avoir plus de pei - ne. Elle m'a dit : " Tu viens, chéri ? Et si tu me payes un bon prix Aux anges je t'emmène, Digue digue don dai - ne. " La Marjolaine pleurait surtout, Quand elle n'avait pas de sous. La Marjolaine de la chanson, Avait de plus nobles façons. J'ai passé le pont d'Avignon, Pour voir un peu les belles dames Et les beaux messieurs tous en rond, Qui dansaient, dansaient, corps et âmes. Mais ils avaient changé de ton, Ils faisaient fi des rigodons, Menuets et pavanes, Tarentelles, sardanes, Et les belles dames m'ont dit ceci : " Étranger, sauve-toi d'ici Ou l'on donne l'alarme, Aux chiens et aux gendarmes ! " Quelle mouche les a donc piquées, Ces belles dames si distinguées ? Les belles dames de la chanson, Avaient de plus nobles façons. Je me suis fait faire prisonnier, Dans les vieilles prisons de Nantes, Pour voir la fille du geôlier, Qui, paraît-il, est avenante. Mais elle avait changé de ton, Quand j'ai demandé : " Que dit-on Des affaires courantes, Dans la ville de Nantes ? " La mignonne m'a répondu : " On dit que vous serez pendu Aux matines sonnantes, Et j'en suis bien contente ! " Les geôlières n'ont plus de coeur, Aux prisons de Nantes et d'ailleurs. La geôlière de la chanson, Avait de plus nobles façons. Voulant mener à bonne fin, Ma folle course vagabonde, Vers mes pénates je revins, Pour dormir auprès de ma blonde, Mais elle avait changé de ton, Avec elle, sous l'édredon, Il y avait du monde, Dormant près de ma blonde. J'ai pris le coup d'un air blagueur, Mais, en cachette, dans mon coeur, La peine était profonde, L'chagrin lâchait la bonde. Hélas ! du jardin de mon père, La colombe s'est fait la paire... Par bonheur, par consolation, Me sont restées les quatre chansons.