Orphelin, L
Georges Brassens
Sauf le cas fréquent, hélas Où ce sont de vrais dégueulasses On ne devrait perdre jamais Ses père et mère, bien sûr, mais A moins d'être un petit malin Qui meurt avant d'être orphelin Ou un infortuné bâtard Ça nous pend au nez tôt ou tard. Quand, se drapant dans un linceul Ses parents le laissent tout seul Le petit orphelin, ma fois Est à plaindre, toutefois Sans aller jusqu'à décréter Qu'il devient un enfant gâté Disons que dans son affliction Il trouve des compensations. D'abord au dessert aussitôt La meilleur part du gâteau Et puis, plus d'école, pardi La semaine aux quatre jeudis. On le traite comme un pacha A sa place, on fouette le chat Et, le trouvant très chic en deuil Les filles lui font des clins d'oeil. Il serait par trop saugrenu D'énumérer par le menu Les faveurs et les passe-droits Qu'en l'occurrence on lui octroie Tirant même d'un tel bénéfice En perdant leurs parents, des fils Dénaturés regrettent de N'en avoir à perdre que deux. Hier, j'ai dit à un animal De flic qui me voulait du mal : "Je suis orphelin, savez-vous ," Il me répondit : "Je m'en fous". J'aurais eu quarante ans de moins Je suis sûr que par les témoins La brute aurait été mouchée Mais ces lâches n'ont pas bougé. Aussi, mon enfant, si tu dois Être orphelin, dépêche-toi. Tant qu'à perdre tes chers parents Petit, n'attends pas d'être grand ; L'orphelin d'âge canonique Personne ne le plaint, bernique ! Et, pour tout le monde, il demeure Orphelin de la onzième heure. Celui qui a fait cette chanson A voulu dire à sa façon Que la perte des vieux est par- Fois perte sèche, blague à part. Avec l'âge, c'est bien normal Les plaies du coeur guérissent mal Souventes fois, même, salut Elles ne se referment plus.