Ballade des places de Paris
Georges Brassens
Ça naît un beau soir sur la Butte Ça grandit on n'sait pas comment Et de cabrioles en culbutes Ça tombe dans les bras d'un amant. Un joyeux petit gars de Montmertre Pour deux ronds de frites, un beau jour L'initie aux joies de l'amour Place du Te-ertre. Comme on n'peut pas vivre sans galette Un jour qu'on n'a rien à briffer On s'en va vendre des violettes A la terrasse des grands cafés. La frimousse est plutôt pas mal Et tente le pinceau d'un rupin Alors, on pose les "Diane au bain" Place Piga-alle. La peinture, c'est beau mais c'est triste Et ça manque un peu d'essentiel Faut pas compter sur un artiste Pour se meubler chez Dufayel. On a d'la poitrine et des hanches On sait qu'on est bien roulée, qu'on plaît Alors, sur le coup d'minuit on s'fait La place Blan-anche. Puis pour un nom à particule On change le sien, trop roturier On s'flanque une couronne majuscule Sur son bicéphale armorié. On s'appelle Gisèle de Brantôme Ou Sophie de Pont-à-Mousson. Et on arbore son écusson Place du Vendô-ôme. Mais ça n'dure qu'le temps d'un caprice Paris, inconstant, s'est lassé Passant à d'autres exercices Délaissant le joujou brisé. On d'vient "la fée au maillot jaune" Qu'admirent sur les tréteaux forains Les artilleurs du fort voisin Place du Trô-ône. Puis, c'est la débauche, c'est la boue L'amour, ah ! quel métier d'enfer ! Et le dernier acte se joue La nuit, sur un trottoir désert. Dans les fumées glacées de l'aube Comme on ramasse un chien mort On l'a r'trouvée sur le pavé D'la place Mau-aube.