La ballade des cimetieres
Georges Brassens
J’ai des tombeaux en abondance Des sépultures à discrétion Dans tout cim’tièr’d’quelque importance J’ai ma petite concession. De l’humble tertre au mausolée Avec toujours quelqu’un dedans J’ai des p’tit’s boss’s plein les allées Et je suis triste cependant... Car je n’en ai pas et ça m’agace Et ça défrise mon blason Au cimetièr’du Montparnasse À quatre pas de ma maison À quatre pas de ma maison. J’en possède au Père-Lachaise A Bagneux à Thiais à Pantin Et jusque ne vous en déplaise Au fond du cimetièr’marin A la vill’comm’à la campagne Partout où l’on peut faire un trou J’ai mêm’des tombeaux en Espagne Qu’on me jalouse peu ou prou... Mais j’n’en ai pas la moindre trace Le plus humble petit soupçon Au cimetièr’du Montparnasse À quatre pas de ma maison À quatre pas de ma maison. Le jour des morts je cours le vole Je vais infatigablement De nécropole en nécropole De pierr’tombale en monument. On m’entrevoit sous un’couronne D’immortelles à Champerret Un peu plus tard c’est à Charonne Qu’on m’aperçoit sous un cyprès... Mais seul un fourbe aura l’audace De dir’ : " J’l’ai vu à l’horizon Du cimetièr’du Montparnasse À quatre pas de sa maison À quatre pas de sa maison ". Devant l’château d’ma grand-tante La marquise de Carabas Ma saint’famille languit d’attente : Mourra-t-ell’ mourra-t-elle pas ? L’un veut son or l’autre ses meubles Qui ses bijoux qui ses bib’lots Qui ses forêts qui ses immeubles Qui ses tapis qui ses tableaux... Moi je n’implore qu’une grâce C’est qu’ell’pass’la morte-saison Au cimetièr’du Montparnasse À quatre pas de ma maison À quatre pas de ma maison. Ainsi chantait la mort dans l’âme Un jeun’homm’de bonne tenue En train de ranimer la flamme Du soldat qui lui était connu Or il advint qu’le ciel eut marr’de L’entendre parler de ses caveaux. Et Dieu fit signe à la camarde De l’expédier rue Froidevaux... Mais les croqu’-morts qui étaient de Chartres Funeste erreur de livraison Menèr’nt sa dépouille à Montmartre De l’autr’côté de sa maison De l’autr’côté de sa maison.