Le gorille
Francis Cabrel
C'est à travers de larges grilles Que les femelles du canton Contemplaient un puissant gorille Sans souci du qu'en-dira-t-on Avec impudeur, ces commères Lorgnaient même un endroit précis Que, rigoureusement ma mère M'a défendu de nommer ici Gare au gorille ! Gare ! Voilà que la prison bien close S'ouvre sur le bel animal On ne sait pourquoi je suppose Qu'on avait du la fermer mal Le singe, en sortant de sa cage Crie : «C'est aujourd'hui que j'le perds » Il parlait de son pucelage Vous aviez deviné, j'espère Gare au gorille ! Gare ! Tout le monde se précipite Hors d'atteinte du singe en rut Sauf une vielle décrépite Et un jeune juge en bois brut Voyant que chacun se dérobe Le quadrumane accéléra Son dandinement vers les robes De la vieille et du magistrat Gare au gorille ! Gare ! Gare au gorille ! Gare ! "Bah ! Soupirait la centenaire Qu'on puisse encore me désirer Ce serait extraordinaire Et, pour tout dire, inespéré Le juge pensait, impassible Qu'on me prenne pour une guenon, C'est complètement impossible La suite lui prouva que non Gare au gorille ! Gare ! Car si l'on sait que le gorille Aux jeux de l'amour vaut son prix On sait qu'en revanche il ne brille Ni par le goût, ni par l'esprit Or, au lieu d'opter pour la vieille Comme l'aurait fait n'importe qui Il saisit le juge à l'oreille Et l'entraîna dans un maquis Gare au gorille ! Gare ! La suite serait délectable Malheureusement, je ne peux Pas la dire, et c'est regrettable Ça nous aurait fait rire un peu Car le juge, au moment suprême Criait : "maman !", pleurait beaucoup Comme l'homme auquel, le jour même Il avait fait trancher le cou Gare au gorille ! Gare ! Gare au gorille ! Gare ! Gare au gorille ! Gare !