Ma guitare
Font et Val
T'en fais pas, ma guitare, nous n'irons pas chanter Sous les grands chapiteaux garnis De policiers virils et de chiens policiers, T'en fais pas, nous resterons ici. Nous continuerons à chanter dans ces endroits Où les gens sont assis, le soir, autour de toi, Pour la joie de l'oreille et le plaisir de l'oeil, Sans qu'un berger allemand passe entre les fauteuils. Nous ne connaitrons pas la chaleur excitante Des foules compressées sous la tente. Porteuses de héros, comme au temps des Gaulois, On te montera pas sous le pavois. Pour chanter la tendresse et la fraternité, Nous n'avons pas besoin du secours d'une armée. De chapiteaux en stades et en Palais des sports, La chanson va finir entre des miradors. T'en fais pas, ma guitare, nous n'aurons pas la peine De chanter sous les lacrymogènes. Un théâtre t'attend, avec ses vieux rideaux, Plein des larmes de l'ami Pierrot. Un théâtre vieilli comme un bon armagnac, Avec les cris de Cyrano de Bergerac, La poussière du décor et, dans la mezzanine, Le beau sourire d'une étrangère en crinoline. C'est un peu rétrograde, j'en conviens, ma jolie, Mais je crains le moderne forum Surveillé par des brutes qui font peur à la nuit, Ruminant la haine et le chewing-gum. Pour la sécurité des magasins de pétasses, Où les cons viennent s'offrir des déguis'ments de connasses, Tandis qu'entre les gros piliers de béton froid, Un chanteur glousse un hymne à la fraise des bois. T'en fais pas, ma guitare, au théâtre italien, Scaramouche nous souffle le soir Qu'on est ici chez nous, de la cour au jardin, Pas de flics le long du promenoir. T'en fais pas, ma jolie, notre maison c'est là Où le muscle imbécile et la peur n'entrent pas, Où le seul uniforme est un pompier de service Qui tranquillement nous écoute dans les coulisses.