Rue Saint-Denis
Claude Nougaro
À minuit, je sucre des fraises J'ai la feuille de vigne embrasée Je me lève, je pèse mon pèze Rue Saint Denis, y a bon baiser Pas besoin d'être une sorcière Pour avoir un manche à balai J'en ai un qui me dit : " Poussière ! Tu iras où je veux aller " Il me nargue, il me tarabuste, M'enfournant dans ses réacteurs Ce relatif petit arbuste S'enracine au fond de mon coeur Que désigne-t-il cet index Pointé toujours vers l'azimut Comme si le ciel avait un sexe Comme si Dieu même était en rut ? Alors, à minuit, moi, je mange De la femme avec mon bec tendu Oui, j'en mange comme on se venge D'être un ange trop mal foutu D'avoir là, sous cette ceinture, Ah non ! ça n'est pas élégant ! D'avoir là, qui dure, qui dure, Ce doigt borgne obsédé de gant À minuit, je mange de l'homme C'est mon métier, c'est mon destin C'est comme du sucre de pomme C'est mon sentier, c'est mon festin À minuit je mange du jouine Et du vieil, et de l'entredous, Je suis une groigne, une fouine, Un, un je les mangerai tous À minuit, je mange mon fisse Et mon père et le chancelier Le sang tout blanc du maléfice Afin de se multiplier Les hommes naissent sur les berges Du val des morts, dans tous les choux Rouges, dans le genou des vierges Comme du blé, comme des fous... Alors, à minuit, moi, je mange De l'homme. Je croque, grandes dents Je bouffe le ruban orange Et les souvenirs obsédants Je mange la tête et le foie, Le jeu, le crime, le devoir J'ouvre bien ma gueule qu'on voie Que, dedans, nul ciel n'est à voir.