La java du diable
Charles Trenet
Un jour le diable fit une java Qu'avait tout l'air d'une mazurka Valse à trois temps, il n'savait pas Ce qu'il venait d'composer là Aussitôt la terre entière Par cet air fut enchantée Des dancings aux cimetières Tout l'monde la chantait On la dansait à petits pas Et bien souvent aux heures des r'pas Le Diable venait sur sa java Frapper du pied dans les estomacs Des p'tits malheurs vite commencèrent Car ce refrain de Lucifer Planait partout, tout d'suite appris Circonvenant bien les esprits Vers la fin du mois d'décembre Un député pris de court A la tribune de la Chambre Dit dans son discours : "Un, deux, trois, quatre, Un, deux, trois, quatre, C'est mon programme est-ce qui'il vous plaît ?" A coup d'fusil on dut l'abattre Il expira au deuxième couplet La salle Pleyel n'écoutait plus Des grands concerts un seul lui plut Celui où l'chef d'orchestre mêla Sébastien Bach et la java Ronde folle, ronde folle Brusquement un grand acteur Au beau milieu de son rôle Trahit son auteur... "Un, deux, trois, quatre, Un, deux, trois, quatre" Ah quelle pagaille dans le théâtre Les spectateurs montèrent sur scène L'oeil en fureur et le geste obscène Au-d'là des mers ce fut bien pire Le mal gagna c'est trop affreux Il lui fallait pour son empire Jusqu'au pôle Nord et la Terre de Feu Mais le plus terrible ravage Fut dans l'monde des banquiers Où la grande java sauvage Fit des victimes par milliers "Un, deux, trois, quatre Un, deux, trois, quatre" Hurlaient New York et Chicago L'or se vendit au prix du plâtre Et le cigare au prix du mégot Puis un jour tout d'vint tranquille On n'entendit plus d'java Dans les champs et dans les villes Savez-vous pourquoi ? (Coda :) Parce que le Diable s'aperçut Qu'il n'touchait pas de droits d'auteur Tout ça c'était d'l'argent d'foutu Puisqu'il n'était même pas éditeur Tout ça c'était d'l'argent d'foutu Puisqu'il n'était même pas éditeur (Parlé :) Allez, remportons notre musique Et retournons en enfer.